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La loi de la pureté de la bière allemande

Vous savez tous que les Allemands sont depuis toujours, connus pour leurs bières, difficile de dissocier les Allemands de la bière, comme les Français du vin.

La bière en Allemagne est soumise à ce qu’on appelle la loi de la pureté Allemande, une mention que vous retrouverez sur les étiquettes de bières, et aujourd’hui on va justement parler de cette fameuse loi, ce qu’elle est, ou elle en est en 2017, et aussi à la fin de ce dossier, nous essaierons de voir si ce type de loi a encore sa place dans le milieu brassicole actuel.

La loi de la pureté Allemande, ca vient d’où?

On appelle cette loi, Reinheitsgebot en Allemand, ça se prononce….comme vous le voulez…. On traduit cela par “décret sur la pureté de la bière”, ce document précise les ingrédients autorisés dans la bière. Il date de 1516, faisant donc de lui, l’un des plus vieux décrets alimentaires européens.

Mais ce n’est pourtant pas le plus vieux! On attribue souvent à tort à ce fameux décret, la primauté de l’ancienneté, or, c’est faux! Le document le plus vieux connu à ce jour serait l’octroi d’une licence écrite par un noble Allemand en 974, approuvée par l’empereur Otto II en faveur de l’église de Liege en Belgique.

Durant le moyen âge, un certain nombre d’autres licences du même type ont existé, notamment à Nuremberg (1293), Erfurt (1351), Weisensee (1434) ou encore Munich (1487).

Toutefois, c’est le décret de 1516 qui sera suivi le plus, et qui perdurera jusqu’à aujourd’hui.

Que dit cette loi?

A la base concernant uniquement la Bavière, cette fameuse loi, régule et codifie la fabrication de la bière, bien que harmonisée avec les années, notamment pour faire face à l’évolution du marché, elle reste sensiblement identique à sa première édition.

Décrétée par le roi Guillaume IV de Bavière, cette loi déterminait les principaux ingrédients à utiliser qui étaient :

  • Orge
  • Houblon (dont l’ajout dans la bière fut découvert peu de temps avant)
  • Eau

Comme vous pouvez le voir, il manque des choses par rapport à aujourd’hui, tout d’abord la levure, dont l’influence était encore inconnu et n’aura été employée officiellement dans la bière que bien plus tard, grâce aux recherches de Pasteur. Attention toutefois les amis, Pasteur n’a pas découvert la levure, il a surtout clarifié les théories sur son rôle dans la fermentation grâce à ses recherches, mais nous en parlerons dans un autre article.

Autre élément qui manque, ou tout du moins, qui interpelle, c’est l’Orge, comme seule céréale utilisée. La raison est simple, le roi voulait que le blé soit intégralement utilisé pour fabriquer du pain en période de famine, de ce fait, seule l’Orge était autorisée. Toutefois, bien que cette mesure soit louable sur un point de vue éthique, elle n’en est pas moins illogique car la bière était considérée comme du pain liquide à la base!  

Le houblon, dont nous avions fait un dossier il y a quelques temps de cela, fut popularisé au 12ème siècle grâce à Hildegarde de Bingen, auparavant, on utilisait d’autres plantes et épices, dont le Gruit.

Il existe deux principales raisons pour justifier cette imposition du houblon dans la bière.

La première raison et pas des moindres, est que le houblon était reconnu comme sans danger pour la santé, or, le gruit, lui, est un mélange d’herbes et épices qui parfois contenait des plantes dangereuses pour l’homme. De ce fait, son utilisation, imposée par la loi, est une mesure louable et hygiéniste, et vu les vertus du houblon dans la bière, ce n’est pas pour nous déplaire!

La seconde raison est financière, à l’époque, le gruit était fabriqué par les moines et les abbayes catholiques qui en détenaient le monopole et faisaient payer un impôt sur la bière, définir une imposition du houblon au lieu du gruit, a permis de se défaire de cet impôt.

Plusieurs siècle plus tard, en 1871, la Bavière est forcée d’entrer dans l’empire Allemand, toutefois, elle parvient à négocier la garde de sa loi afin de se protéger de la concurrence du reste de l’Allemagne. Ce sera en 1906 que la loi sera étendue à tout le pays.

Enfin, il est à noté qu’initialement, la loi permettait de fixer les prix de vente des bières.

 

 

Modifications au cours des décennies

Peu après la seconde guerre, des modifications eurent lieu, comme par exemple l’autorisation dans les bières à fermentation hautes d’utiliser d’autres malts ainsi qu’une certaine quantité de sucres et de colorants ou encore plus de libertés aux bières qui sont uniquement destinées à l’exportation. On peut aussi ajouter certaines herbes et épices comme la coriandre par exemple.

En 1987, un procès eu lieu en Allemagne à la cour de justice Européenne, initié par des brasseurs français, ceux-ci ne pouvaient pas exporter en Allemagne leurs bières sous appellation « bière » car elles ne respectaient pas les lois de pureté du pays, plus précisément, il s’agit d’une mesure fiscale appelée Biersteuergesetz qui intègre la Reinheitsgebot, les brasseurs se sentant lésés, ont jugé cette mesure protectionniste et la cour a tranché en faveur des plaignants, du coup les Allemands ont décidé d’appliquer la loi aux bières brassées en Allemagne et en basses fermentation. Autorisant ainsi l’importation de concurrents étrangers.

Dans un autre registre, un monastère allemand brassant de la bière artisanale, en 1990, après la réunification, a été plusieurs fois averti de cesser de produire sa bière brune car elle contenait du sucre (en sus du sucre mis lors du brassage classique bien entendu). Après plusieurs négociations, ils ont pu vendre leur bière, mais en devant supprimer le mot bière de l’étiquette, ce qui ne plu pas à la brasserie et ce n’est qu’après 10 ans de procédure que la brasserie a pu remettre le mot “bière” sur ses étiquettes.

 

Enfin, quelques variantes furent appliquées, dont la dernière, notable est celle permettant de faire de la bière sans Gluten.

 

Angela Merkel lors de la célébration des 500 ans de la loi

 

Conséquences de cette loi sur le marché brassicole Allemand

L’arrivée de cette loi dans tout le territoire Germanique a été très mal accueilli, provoquant ainsi la fermeture de nombreuses brasseries et l’arrêt de production de certains styles de bières.

Par exemple, les bières aux cerises du Nord de l’Allemagne ont dû disparaître suite à l’arrivée du décret.

Seuls les Altbier et les Kolsh ont pu rester en place, avec difficulté, et la Pilsener a dominé tout le marché.

Cette uniformisation est à double tranchant, si une bière sur laquelle il est inscrit “loi de la pureté Allemande” est un bon argument marketing, aussi bien en Allemagne qu’ailleurs, il faut toutefois avouer que cela freine tout de même à l’exportation face aux concurrents.

En 2013, les allemands ont tenté, en vain, de faire adopter la loi au patrimoine immatériel de l’UNESCO, comme la bière Belge, mais cela n’a pas abouti. Cette loi reste donc un simple texte officiel, qui, bien qu’ayant une valeur historique indéniable après 501 ans d’ancienneté, devient dépassée face à l’évolution du secteur sur le plan mondial!

Le consommateur Allemand boit moins qu’il y a 40 ans, passé de 150 litres par an, à 106 litres (bon, nous on est qu’a 46 litres environ….ca va y a de la marge!), pourtant, le pays a environ 1340 brasseries et face à la diversification des styles et des modes de consommation, les brasseurs tirent la langue et commencent à apprécier de moins en moins cette loi qui les empêche de s’énerver un peu comme leurs copains Français, Anglais ou encore Ecossais (suivez mon regard….).

Le véritable souci pour ces brasseurs c’est que les brasseries Allemandes soumises à cette loi, ne peuvent pas lutter contre la diversité de leurs concurrents, qui, eux, ne sont pas soumis à ce type de restrictions.

 

Angela tu veux un peu de bière dans ta mousse?

En quoi cette loi est dépassée?

Cette loi pour revenir au paragraphe précédent, reste avant tout une loi médiévale qui ne fait plus son temps, elle fut un gage de qualité évident à l’époque mais il ne faut pas oublier qu’elle a été à la base créée pour protéger le pain avant le consommateur de bière en lui même.

N’oublions pas que cela ne veut pas dire que la bière est bonne, Heineken est brassée selon cette loi par exemple, pourtant, ce n’est pas la meilleure bière du monde même si elle reste un classique incontournable (et, il faut l’avouer, une belle aventure économique vu sa notoriété de par le monde).

Outre le fait que la bière Pilsener n’est pas le meilleur style de bière, bien qu’il ne faut pas le dénigrer du tout, on peut argumenter encore sur la qualité en arguant le fait que l’eau utilisée, n’est pas non plus codifiée dans la loi, on parle d’eau, mais cela veut dire qu’une eau remplie de pesticides avec laquelle on brasserait une bière, serait aussi acceptée par ce fameux décret.

De plus, et vu le marché actuel, cela limite les styles, du coup les brasseurs Allemands, ne peuvent pas toujours se démarquer face aux concurrents étrangers, cela ralentit aussi, quelque part, l’arrivée de micro brasseries originales qui veulent sortir des sentiers battus.

 

Crew Republic

En conclusion

Pour moi, et je parle en mon avis propre, cette loi n’est aujourd’hui plus qu’un argument marketing surestimé, cette loi est trop ancienne pour être appliquée en 2017, le milieu brassicole a trop évolué, la technologie aussi, tout est désormais différent, et même si les bières Allemandes sont appréciées, leur uniformisation les a rendu finalement assez fades en comparaison des brasseurs d’autres pays.

Quand je dis fade, je ne parle pas de leur gout en fait, mais leur appréciation fait qu’on va plus aller vers une Porter au café, ou une IPA fruitée qu’une Pilsener allemande classique si on veut déguster un produit qui change du classique Heineken.  Le souci de cette loi est qu’elle dirige souvent sur la Pilsener, alors que d’autres styles existent, la Pils est trop répandue dans le monde par les industriels et les Allemands ont besoin de se renouveler, car ils ont un énorme potentiel à appliquer.

Mais je ne crache pas sur la bière Allemande, loin de là, il faut juste bien chercher et vous trouverez des merveilles, par exemple, je suis fan de la Schlenkerla, une brune fumée très agréable si on a le palais aventurier, ou plus récemment, Crew Republic qui bouscule un peu les codes de l’ancien temps!

Heureusement, pour parler de Crew Republic, avec le tournant que prends le secteur, des petits brasseurs commencent doucement à se faire connaitre sur le marché, citons ceux qui s’exportent pas mal en ce moment donc, nos amis de Crew Republic qui par exemple font de l’IPA, de la Barley Wine ou encore de l’Imperial Stout, toujours sous cette fameuse loi, mais avec des étiquettes plus attractives, des codes visuels et gustatifs plus enjoués et petit à petit, la scène brassicole allemande a le vent qui commence à tourner et donc, cette fameuse loi, commence à devenir de plus en plus obsolète pour les consommateurs allemands, avides de séléctions plus “beer geek” comme chez leurs voisins!

Alors peut être que l’avenir du milieu brassicole allemand, serait de permettre de pouvoir sortir de cette loi trop restrictive face au marché actuel, et ainsi de se repositionner dans le secteur mondial, bien qu’ils soient toujours aussi réputés sur le secteur.

Aujourd’hui, ce decrêt n’est vu que comme un argument marketing, d’autant que les lois permettent, même si de nombreuses choses sont à améliorer, de réguler la création de bières, n’oublions pas que la loi a 501 ans cette année, il y a eu des choses qui se sont passées dans le monde et il est ridicule de rester bloquer sur une restriction médiévale.

Maintenant, le marché évolue énormément, peut être que l’Allemagne va changer de position et s’énerver un peu plus dans sa manière de créer des bières, après tout, je serais bien curieux de découvrir des brasseries énervées de nos cousins germaniques! Pour conclure sur nos amis allemands, je vous dirais, que selon moi, et ca n’engage que moi, cette loi a tendance, je trouve, à empêché un peu les Allemands de se démarquer à l’international, en dehors des grands classiques, et peu de brasseries comme Crew Republic arrivent à se faire entendre sur la scène internationale à mon goût, mais cela ne durera pas, j’en suis même certain! 😉 

Allez les amis, sortez un peu de cette loi et énervez vous!! 🙂

Sources :

https://www.europeanbeerguide.net/reinhefr.htm

https://www.happybeertime.com/blog/2014/03/18/quand-lue-se-mele-de-la-loi-de-purete-en-allemagne/

http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/04/28/la-purete-de-la-biere-allemande-en-question_4909884_3214.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Reinheitsgebot

 

Greg
Marseillais amateur de bières, je vais vous faire découvrir cette boisson à travers son histoire, des dossiers, de l'actu et enfin des tests de bières diverses et variées!

12 Replies to “La loi de la pureté de la bière allemande

  1. D’accord avec le fait que c’est avant tout une question marketing et que ça entrave fortement la créativité des brasseries allemandes et la liberté d’action des microbraseries (enfin, surtout en Bavière, les autres provinces ont apparement une application moins psychorigide de la législation fédérale).
    Petit détail : la Bavière, en 1516, était un Duché, couvrant en gros un tiers de la Bavière actuelle, pas un Royaume, donc pas de roi. ;o)
    Mais il manque ici un point majeur de l’enfumage colossal qu’est le Reinheitsgebot : les soi-disant 500 ans de validité du texte de 1516 sont un beau gros mensonge. Le fait est qu’après 35 ans, en 1551, un édit complémentaire autorisait le laurier et la coriandre, tout en interdisant nommément la jusquiame noire (toxique, hallucinogène) et le bois-joli (une variété toxique de daphné dont les feuilles ressemblent au laurier). Et en 1616, une nouvelle Landesordnung (« ordonnance territoriale », soit le code réglant le quotidien du Duché de Bavière) a remplacé celle de 1516, dans laquelle se trouve le Reinheitsgebot (qui n’a jamais été un texte législatif indépendant, autre nuance de taille), et les règles introduites en 1616 autorisent aussi le carvi, le genièvre et le sel. Donc voilà, 35 ans de validité, pas 500, et un remplacement effectif après un siècle…
    En ce qui concerne l’usage du blé, un privilège (droit exclusif) avait été accordé aux seigneurs de Degenberg pour les territoires bavarois au nord du Danube, mais comme cette lignée s’est éteinte en 1606, ledit privilège est revenu à la famille régnante de Bavière.
    La ré-émergence du principe à des fins protectionnistes en Bavière à la fin des années 1860 n’est d’ailleurs pas fidèle au texte d’origine, parlant d’eau, de malt (blé compris, donc…), d’eau et de levure. C’est cette règle qui est étendue à tout l’Empire allemand en 1906, mais dès 1917, à cause de la guerre, nombre de brasseries recourent à des substituts comme la betterave hâchée ou les pommes de terre. La loi mise en place en 1923 pour remettre de l’ordre là-dedans conserve néanmoins des exceptions au principe des qzuatre ingrédients de base, comme le sucre dans les fermentations hautes. Donc durée de validité du strict principe des quatre ingrédients de base : 17 ans dans la loi, mais plutôt 11 dans les faits…
    A noter que le terme Reinheitsgebot est attesté pour la première fois en 1918, dans un compte-rendu de séance du Parlement de Bavière (avant, on parlait de « Surrogatenverbot », soit « interdiction des substituts »), et que le terme n’est passé dans le langage courant en Allemagne qu’en 1954-55, lors de la polémique sur les « Zuckerbiere », les brasseurs Bavarois tentant alors de faire interdire en Bavière toute bière contenant des sucres de brassage (là aussi, recours aux ersatz pendant la guerre et à la suite de celle-ci…)
    Bref, ce machin apparemment ancestral est pour l’essentiel une construction bien plus récente, et y’a pas mal de faits qui sont omis dans la version habituelle de l’histoire. 🙂

    1. Salut Laurent 🙂

      Et bien dis donc, tu as énormément d’infos à apporter! Est-ce que par hasard tu aurais quelques sources? Je serais ravi de restructurer mon article et le mettre à jour avec ces nouvelles données que tu me fournis rien qu’en commentaires!

  2. Sources ? Simple : pratiquement toutes ces informations est dans la version allemande de la notice Wikipedia « Reinheitsgebot », et donc les références y sont aussi, en bas de notice, une des pièces centrales étant une thèse parue en 1987, intitulée « Das Brauwesen in Bayern vom 14. bis 16. Jahrhundert, insbesondere die Entstehung und Entwicklung des Reinheitsgebotes » : https://de.wikipedia.org/wiki/Reinheitsgebot#Einzelnachweise
    (Oui, en l’espèce, d’avoir appris l’allemand à l’école, ça aide un peu…) :o)

    J’avais fait une synthèse en 2016, pour le blog de mon ami Bov (la VF est au-dessous de la version allemande), avec en illustration des exemples du grand n’importe quoi que sont les références à la loi de pureté sur les étiquettes de bières allemandes : https://bovbeers.wordpress.com/2016/04/02/reinheitsgebot-die-fakten-in-10-punkten-les-faits-en-10-points/

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