Un récent article de Good Beer Hunting et plusieurs réflections de confrères et consoeurs du milieu m’ont interpellé sur un sujet que je voulais aborder depuis déjà longtemps mais dont j’hésite à parler par peur de me tirer une balle dans le pied, ou carrément m’attirer des foudres du milieu brassicole : l’alcool et plus particulièrement la notion de consommation d’alcool.
Si l’on en croit l’OMS, l’alcoolodépendance est avérée lorsque la consommation d’alcool devient une priorité chez une personne, jusque-là, rien de nouveau au soleil, mais à quel moment considère-t-on qu’une personne bascule dans l’alcoolisme? Sur le site Santé publique France on constate que les repères sont de 10 verres par semaine, 2 verres par jour maximum, et des jours sans consommation d’alcool. Si vous passez au-dessus de ces repères, vous êtes susceptible de basculer dans l’alcoolisme. Dans cet article je vais surtout faire un état des lieux via mon expérience personnelle et cet article aura une suite d’ici peu liée à l’addiction en elle-même et ce qui est fait pour la limiter (Loi Evin etc…).
Un sujet tabou
L’alcoolisme c’est quelque chose d’assez tabou dans les milieux du vin, de la bière ou encore des spiritueux. De même, on se moque assez facilement du “poivrot” qui boit son cubi de rouge, ou du SDF qui se torche à la 8.6 mais rarement du multi badgé Untappd ou encore à celui qui arpente les restaurants en mode gueuleton pour y découvrir les meilleurs vins. On a un alcoolisme tabou voire un alcoolisme à deux vitesses, qui est celui qu’on minimise assez facilement par le terme “épicurien”, un terme qui revient souvent car si on boit souvent, mais que c’est de la qualité, alors on est un “bon vivant” et pas du tout un alcoolique.
Pourtant, l’alcoolisme est un sujet grave dont on connaît les conséquences, que ce soit pour sa santé, son entourage proche, son travail ou encore sur la route. En France, pays de culture vin, on tolère l’alcool et la cigarette plus qu’on ne tolère d’autres drogues, alors que les effets sont tout aussi néfastes. Certes, il y a plusieurs décennies, l’heure était à l’insouciance et l’ignorance, mais l’avènement de la technologie, de l’avancée des recherches et des prises de conscience a permis de lancer des alertes et des restrictions comme par exemple la loi Evin qui permet à l’alcool ou la cigarette de moins être représentés dans les grands médias. (mais on y reviendra dans un autre article à venir).
En écrivant ces lignes, qui sont très personnelles, je m’attaque au final à un problème de fond que je constate de plus en plus depuis que je travaille dans ce milieu, et qui est relativement passé sous silence par la majorité des gens, alors qu’il n’en est pas moins très important.
Consommer moins mais mieux?
C’est cette phrase qui revient souvent, que j’utilise aussi, et qu’on sort souvent aux gens pour expliquer le craft, si vous payez plus cher votre produit, vous boirez moins, mais vous aurez bu quelque chose de bon et avec un bel accord bière et mets par exemple. Bien sûr, cette phrase j’y crois, sinon je ne ferais pas mon métier, mais il faut, quand on travaille dans l’alcool, être conscient des risques que l’on prend pour soi et les autres au final et ce n’est pas une mince affaire.
Avant je bloguais plus qu’autre chose, je buvais mes bières, je les testais, je les collectionnais comme des cartes Pokemon et j’écrivais dessus. J’ai écrit des tas d’articles, j’ai donc pu consommer un grand panel de bières différentes, même si je ne suis pas un aficionados de Untappd, je reste quand même à la base un grand consommateur de boissons houblonnées et ma consommation s’est retranscrit à travers ce média que vous pouvez lire depuis plus d’une décennie maintenant au lieu de mon compte Untappd à l’encéphalogramme plat.
Curieusement, quand le destin m’a permis de faire de cette passion, un métier, ma consommation a radicalement ralenti pour tout un tas de raisons. Si avant j’avais un alcool jovial, c’est parce que celui-ci me sortait de mon petit bureau où j’officiais en tant que logisticien, et il était le lubrifiant social que l’on connaît, voire une échappatoire si j’avais envie d’oublier une sale journée et me désinhiber avec des amis. Mais quand j’ai commencé à travailler dans l’alcool, j’avais deux possibilités : en profiter pour augmenter ma consommation d’alcool avec une justification professionnelle (sans parler du fait de boire pas cher vu qu’on est professionnel), soit d’emblée mettre des barrières à ma consommation.
Pour ceux qui me suivent, je co-gère un bar à Marseille, je fais du consulting du rédactionnel et je monte une brasserie, en sus de ce blog et du podcast, je suis donc sur plusieurs types d’activités différentes tournant autour de la bière, et donc, plusieurs éléments propices à une consommation accrue de celle-ci.
Ce que j’ai constaté en travaillant dans la bière c’est que c’est un milieu assez co-fraternel et plutôt détendu, bien qu’il y ait des exceptions et des choses à revoir. Forcément, quand vous êtes dans un milieu comme celui-ci, la convivialité prend tout son sens, et là, j’ai pu analyser de près ce qui m’entourait, que ce soit les clients, les employés, les brasseries, les commerciaux etc…. Et j’ai donc pu voir tout un tas de profils différents, allant de personnes raisonnables et très pros, à des gens borderlines voire carrément malsains.
Travailler dans la bière : une démocratisation de la profession
Avant 2010, la bière c’était surtout des industriels et quelques rares brasseries indépendantes, on ne trouvait aucun distributeur craft, aucun vrai bar à bière craft, les brewpubs étaient encore étrangers aux yeux des français et le métier de zythologue encore inconnu au bataillon. Pourtant, ces dernières années, c’est tout un secteur d’activité qui a vu fleurir un tas de corps de métiers différents : distribution, bars, brasseries, zythologues, auteurs et autrices, presse spécialisée, vidéastes, podcasteurs, sites internet, communautés sur les réseaux, bref, en un rien de temps, c’est tout un tas de métiers et de supports qui sont nés et ont fait la richesse de ce métier aujourd’hui, mais cette démocratisation du marché n’a-t-elle pas non plus entraîné une facilité pour beaucoup de franchir des limites, et ce pas toujours en étant conscient de cela?
Une des premières choses que l’on m’a dites quand j’ai débuté avec le bar c’est “Ne tombe surtout pas dans le piège du patron de bar, ne deviens ton propre client”. Cette phrase n’a eu de sens que lorsqu’au début, j’ai dû faire du service par manque de personnel durant les premières semaines. Si l’activité m’amusait, c’était un peu la dinette, je me suis aperçu très vite que les gens vous prennent en sympathie, demandent à vous offrir un verre, vous proposent un verre après le service etc…. Et j’ai très vite vu que la frontière était très facilement franchissable.
Mon “salut” viendra de mon entourage (dont ma compagne) et de mes expériences passées qui m’ont permis de tenir le cap, non sans difficulté je l’avoue, afin de ne pas virer dans la spirale infernale de l’alcool. Mais en 12 ans de blog et 3 ans de bar, j’ai pu voir beaucoup de comportements borderline qui n’étonneront je pense personne.
Être payé pour boire? Mais c’est génial! (Non)
Je me souviens d’une cave, qui a entre-temps été cédée depuis des années, où j’avais sympathisé avec le gérant, un type adorable avec qui je me suis très vite entendu. Un jour, j’apprends que celui-ci vendait l’affaire car il avait totalement délaissé son établissement au profit de la boisson. Le gars avait littéralement basculé dans l’alcool, n’ouvrait plus aux bonnes heures, loupait les rendez-vous fournisseurs, bref, ses associés avaient lâché l’affaire et je n’avais plus jamais entendu parler de lui, son addiction avait eu raison de son travail malheureusement.
Cet exemple n’en est qu’un parmi un tas que j’ai pu constater à travers mes pérégrinations brassicoles. Nombreux sont les gérants de bars, serveurs ou serveuses qui basculent dans une certaine forme d’alcoolisme, et pour diverses raisons : envie de décompresser, compensation par l’alcool de certains maux etc… travailler dans ce milieu est beaucoup plus dur qu’on ne le pense car non seulement il peut s’avérer physique et chronophage pour un rythme de vie sain (la restauration ou encore la brasserie sont des métiers très épuisants), mais si on peut pallier des accidents du travail avec des casques, des chaussures de sécurité ou des échauffements musculaires, difficile de trouver des subterfuges évidents pour pallier aux accidents du travail touchant de près ou de loin à tout ce qui est psychique. C’est pour cela qu’on doit toujours être attentif.
Je n’irais pas non plus m’amuser à vous dire : “Non mais je vous donne des exemples, mais moi ça va hein” car en vérité, il y a presque une dizaine d’année, du haut de ma trentaine, fraîchement divorcé, je sortais à tout va et j’ai largement joué avec le feu, surtout à une époque où la bière artisanale était en train de grimper en flèche dans le pays et où j’étais un des rares à écrire sur le sujet, de fait, je recevais un tas de bières et j’allais dans pleins d’événements. Si j’ai frôlé l’addiction et que l’on m’a rattrapé in extremis c’est aussi, comme je le disais plus haut, parce que j’ai été bien entouré, et parce que mes proches m’ont aidé à me reprendre en main avant qu’une addiction ne s’installe, et aujourd’hui je suis conscient d’avoir éviter une balle.
Pas tout le monde a cette chance là malheureusement, et c’est triste de voir des acteurs et actrices du métier sombrer là dedans et se griller du milieu. Car l’alcool peut autant vous rendre joyeux qu’il peut vous rendre passablement agressif et con, et nul ne peut deviner de quel côté la personne peut se situer à ce moment-là, à moins de bien la connaître, et encore….
Là encore, en tant que patron, on se doit aussi de préserver ses équipes de cela. Si vous êtes une brasserie, que vous avez des commerciaux qui sillonnent l’hexagone pour du TTO et de la dégustation, mieux vaut éviter d’organiser des tournées trop longues et multiplier les événements car l’air de rien, payer vos employés pour boire des canons et voyager loin de chez eux durant des semaines c’est très compliqué. Pour peu qu’ils soient véhiculés et prennent le risque de perdre leur permis ou pire encore. Il est nécessaire de savoir ménager la chèvre et le chou dans ces cas-là avec ses équipes, les distributeurs sont aussi un bon moyen de se soulager sur ce genre de choses (et eux aussi doivent modérer leurs équipes).
Former des gens à l’alcool pas encore assez mature : un risque
Une chose qui est plaisante, c’est voir que les sommeliers bières, les zythologues, se multiplient. Ce corps de métier là est un des rouages qui va aider la bière à se démocratiser au sein de restaurants, même les plus prestigieux. Actuellement il existe plusieurs formations, accessibles dès le BAC pour celleux qui souhaitent devenir oenologues ou zythologues. Je ne reviendrais pas sur la qualité de ces formations car je n’ai pas matière à les juger, j’ai toutefois pu voir de nombreux zythos issus de ces formations et beaucoup sont très pros cela va sans dire. Là où le bât blesse à mon sens, c’est que ces formations donnent accès au milieu brassicole en alternance avec plusieurs semaines de cours au cours desquels les dégustations sont nombreuses.
Si cela est le parcours obligé, ce type de formation est aussi destinée à un public averti, et malheureusement, j’ai pu voir que certains profils très jeunes, partaient inexorablement vers le chemin borderline de l’addiction. L’alcool et les études c’est quelque chose de très commun, après tout, nous avons tous plus ou moins été étudiants ou fréquenté des étudiants et avons été confrontés aux fameuses soirées des BDE de fac, les apéros etc…. Or, ici, la formation étant littéralement axée sur l’alcool et vouée à ce que les participants baignent dans ce milieu, je constate que certains profils que j’ai pu côtoyer ne disposent pas des clés pour évoluer dans ce milieu sans risque.
Bien sûr, ce n’est pas la faute de la formation si l’étudiant présente des troubles invisibles lors de ses entretiens, à de possibles addictions et débordements. De plus, ce n’est pas toujours une question d’âge, mais pourtant, j’ai pu voir que des profils plus âgés (trentaine passée par exemple), faisaient preuve de plus de bon sens que les plus jeunes à peine sortis du lycée qui plongent rapidement dans les excès car ils découvrent un univers jusque là quasi inconnu pour eux. Je jette sans doute un pavé dans la mare mais comment faire pour que des formations liées à l’alcool, quelles qu’elles soient, puissent avoir un outil pour pouvoir déceler, ou tout du moins repérer des profils qui pourraient présenter un risque immédiat pour eux s’ils suivent ce type de formation?
Evidemment, les gens qui n’ont fait aucune formation comme moi et travaillent dans ce milieu, peuvent, quelque soit l’âge s’exposer au risque addictif de l’alcool, mais pourtant, on sait que les jeunes profils peuvent, par leur immaturité, basculer plus facilement dans l’addiction. Je parle par expérience, j’ai vu des profils trop jeunes s’exposer à des excès sous prétexte de “réviser” leurs partiels, et arriver le lendemain dans des états lamentables face à leurs professeurs.
Les débordements liés à l’alcool
J’ai parlé des risques du métier, mais outre le fait d’être simplement alcoolisé, il y a aussi les débordements qui sont un réel problème dans notre corps de métier. En effet, si on a affaire à des gens joyeux mais corrects, qui présentent plus un danger pour eux même que les autres, c’est gérable, il faut malgré tout éviter que la personne se mette en danger. Mais l’alcool peut aussi rendre les gens mauvais et la désinhibition peut pousser certains à franchir le seuil de l’intolérable.
Souvenez-vous des récentes affaires de mœurs liées à certaines brasseries, en France, en UK ou encore aux USA, beaucoup des faits relatés ont pour dénominateur commun une personne éméchée. Les agressions sexuelles subies par plusieurs personnes sont du fait de plusieurs acteurs du milieu qui ont franchi le cap du politiquement correct pour se vautrer littéralement dans ce qu’on peut nommer, ni plus ni moins, que de l’agression, qu’elle soit morale ou (bien souvent) sexuelle.
Un brasseur qui fait des attouchements, un client qui balance des propos insultants, un commercial qui se fait virer d’un TTO, beaucoup de faits existent, pas tous sont exposés, mais ils existent et malgré une certaine omerta, l’alcool est souvent l’élément déclencheur de ces agressions. Alors bien sur, l’alcool n’excuse en rien la chose, il ne fait qu’accélérer une pulsion sans doute déjà existante, mais force est de constater que les personnes qui sont concernées par ces accusations, répètent bien souvent la chose ailleurs car elles ne sont pas capables de prendre le recul sur leur addiction et des conséquences de celle-ci dans leur comportement.
Les festivals où l’on boit en after jusqu’à pas d’heure après une journée éreintante à faire boire les festivaliers, tout en dégustant un peu des choses, pour finir tôt le matin encore alcoolisé avec quelques heures de sommeil pour refaire encore une journée auprès du public, il y en a un tas. Certes, le festival a ce côté festif ou tout le monde se retrouve, tout le monde passe un moment convivial et moi le premier j’adore ces moments. Mais toujours est-il que si on enchaîne les festivals, on se retrouve vite à se mettre en danger si on peine à refuser une invitation par peur de sortir du “groupe” par exemple, car là aussi, le facteur social entre en jeu, qu’on y soit forcé ou non, beaucoup peinent à refuser par peur de décevoir ou mettre à mal leur image “cool” et c’est là l’erreur.
Outre les débordements liés au comportement, n’oublions pas aussi les conséquences sur la santé qui peuvent s’avérer catastrophiques. Consommer trop d’alcool c’est prendre un risque d’avoir des soucis de santé parfois irréversibles. Travailler dans l’alcool ne signifie pas qu’il faut boire tout le temps, mais la pression sociale du milieu, des collègues, des événements peut pousser à la consommation et c’est là qu’il faut parvenir à se réguler ou réguler ses collaborateurs. Des brasseries, des bars ou des caves qui ont fermé non pas pour des raisons économiques mais parce que les gérants se sont bousillé la santé il y en a plus qu’on ne le croit. C’est pour cela que travailler dans un tel environnement nécessite au final d’avoir un état d’esprit relativement carré sur ce sujet, et/ou être entouré de personnes bienveillantes, pour pouvoir détecter en amont tout risque de débordements liés à la consommation.
Quelles solutions?
Je serais bien prétentieux de prétendre avoir une solution, toujours est-il que ce sujet n’a je pense pas encore été vraiment abordé en France, si ce n’est peut être quelques articles ou posts sur des forums et groupes Facebook. Si beaucoup de gens comme moi font un métier passion, notre passion présente des risques non négligeables qu’il faut parvenir à maîtriser en amont.
Si pour ma part, mon entourage a été là pour m’aider à prendre le pli sur ma consommation, pas tout le monde n’a cette chance. Combien de fois, en tant que patron, j’entends des amis me demander si je suis au bar tel ou tel soir, combien m’ont proposé un verre dans mon bar, et si au début je me suis prêté au jeu, désormais j’ai décidé de ne travailler que tôt le matin jusqu’en début d’après midi, et poursuivre ma journée en télétravail de chez moi, maintenant que j’ai une équipe sur place qui gère tout ce qui est clientèle. Au final, je ne descends au bar le soir que pour des événements ou pour des rendez-vous importants, et si je dois voir mon équipe, c’est au démarrage de leur shift et rien de plus. Je reste toutefois joignable tous les soirs jusqu’à la fermeture.
Un patron de bar qui part en titubant de son établissement, avouez que cela donne une image déplorable aussi bien pour vos clients que vos équipes. Idem, vos équipes doivent être encadrées, si de base je vous dirais par pur bon sens, qu’il faut veiller à leur bien être et ne pas tirer la corde, il faut aussi bien observer les personnes pouvant déborder rapidement après le service en abusant sur le verre de fin de service, mettant en danger l’établissement et aussi eux-même, surtout le soir. Des choses que j’ai expérimenté et qui sont difficiles à canaliser malheureusement.
Pour ma part, je pense que comme tout métier à risque, il faudrait plus de formations liées à l’addictologie, que des prises de conscience soient faites auprès des équipes, des étudiants, des employeurs, de manière à pouvoir endiguer et anticiper tout problème chez les collaborateurs. On sait combien de personnes dans des milieux comme le nôtre ont un jour basculé du côté obscur, blessant à la fois leur entourage mais aussi eux-même. Il y a je pense un réel angle mort en ce qui concerne la prévention dans ce milieu, un angle mort qu’il convient de supprimer afin de réellement sensibiliser les gens à cela pour que tout le monde travaille dans de meilleures conditions.
Et cessons de nous cacher derrière des termes de bons vivants, d’épicuriens, des gueuletons et autre Chicandier qui utilisent l’humour et la soi-disant tradition pour promouvoir la consommation outrancière. Très peu de monde peut avouer avoir un réel problème d’alcool, les gens se cachent à travers les mots cités précédemment pour vanter un côté jovial, cool et bon vivant alors qu’en réalité cela reflète d’un réel problème. Bien sur, je peux paraître rabat-joie voire même hypocrite en écrivant cela, vu que je vends de la bière, mais beaucoup de métiers participent à des phénomènes pouvant s’avérer malsain s’ils sont consommées à outrance, que ce soit la cigarette, les médicaments, la nourriture etc…. S’il est impossible de contrôler tout le monde sur ce sujet, il faut pouvoir au moins avoir des outils permettant de freiner quelque peu les choses, aussi bien soi-même que les autres, et je parle de solutions d’anticipation, pas celles existantes qui sont là pour traiter et soigner une fois que le point de non retour a été atteint (cures, alcooliques anonymes etc..).
Enfin, parlons des bières sans alcool qui se démocratisent de plus en plus, un phénomène que j’ai évoqué en détail dans un précédent article et qui ne cesse de croître tant le nombre de brasseries proposant une version sans alcool est en augmentation. On constate que la demande grandissant, les bières parviennent à devenir correctes, des brasseries devenant même uniquement spécialisée en sans alcool, et, pour l’anecdote, des boutiques comme “Le Paon qui boit” ont été créés et ne vendent que sans alcool, tandis que des sites comme “Gueule de joie” proposent en ligne des versions non alcoolisées de toutes vos boissons préférées, preuve que la modération trouve son chemin.
Si l’alcool est notre passion, c’est son goût, son histoire, sa fabrication, ses accords, sa technique ou encore les gens qui composent ce secteur d’activité qui doivent prévaloir sur l’ivresse procurée. Une personne qui vient vous dire d’une bière qu’elle est bonne parce qu’elle “tabasse”, c’est qu’elle n’a certainement pas compris le principe de boire mieux et moins, beaucoup moins. J’ai comme souvenir récent, une jeune femme venue présenter son CV en nous disant d’un air malicieux qu’elle savait pousser à la consommation les gens, non pas dans le sens, prendre une pinte au lieu d’un demi, mais littéralement “torcher” les clients… chose que nous ne voulons pas chez nous par exemple. D’ailleurs, nous n’avons que très rarement des clients mal en point quittant les lieux, nos équipes n’ont pas de soucis à refuser de servir des personnes qui commencent à franchir le point de non retour sur leur endurance à l’alcool, même si certains peuvent parfois passer entre les mailles du filet. Je préfère de loin faire du chiffre avec une clientèle qui tourne au bout d’un ou deux verres et qui part sans franchir le seuil légal de consommation d’alcool, que faire du chiffre avec des piliers de bars qui vont rester sur place durant des heures chaque jour pendant que je gagne ma vie sur leurs futurs problèmes de santé. .
En conclusion
Loin de moi l’idée de vouloir donner des leçons, mais je voulais un peu exposer les choses, je suis loin d’être le seul, mais peu de gens en parlent longuement, un peu plus sur la blogosphère anglophone, mais très peu sur la scène francophone. Pourtant, avec des parts de marché qui grandissent chaque année, des estimations à 7500 brasseries d’ici dix ans comme nous le soulignait Remy Maurin dans sa dernière interview, l’ampleur du secteur est telle que de plus en plus de personnes vont vouloir travailler dans ce milieu.
Des gens de plus en plus jeunes vont arriver sur le marché, moins d’autodidactes peut être, plus de gens sortant directement de formations, mais aussi des acteurs survitaminés en terme de finances qui n’auront que des dollars dans les yeux et aucune empathie pour leurs équipes et leurs éventuelles addictions. Bref le secteur évolue, la bière dépasse le vin, et on voit fleurir ça et là chaque année des articles d’études scientifiques prônant le fait que la bière est bonne pour la santé, alors que, OUI, elle a des vertus non négligeables et prouvées, mais celles-ci sont efficaces uniquement dans le cadre d’une consommation modérée, et on sait que beaucoup de ces “études” cachent en réalité des moyens déguisés pour promouvoir un produit strictement encadré par une loi Evin encore très active de nos jours, et dont on parlera plus en détail dans un prochain article.
Le but de cet article n’est pas dans le but de critiquer ou dénoncer, ce serait contre productif, les exemples donnés sont neutres et anonymes, mais ils existent et dans ce milieu, il n’est pas rare d’entendre parler du caviste, barmaid ou barman, brasseur / brasseuse, commercial etc…. Qui a le coude un peu trop musclé et qui se retrouve vite catalogué par ses pairs quand il ne ferme pas boutique à cause de soucis d’addiction justement. J’avais envie depuis longtemps d’en parler, et les planètes se sont alignées, ma compagne qui me parle d’une conférence sur le sujet, Good Beer Hunting qui sort un article sur le sujet (merci Anaïs pour le partage), le sujet abordé sur des live twitch ou même twitter, il n’en fallait pas plus pour que je décide d’en faire un billet dans lequel je soulève la question à travers ma modeste analyse, en espérant que ce sujet sera de plus en plus pris au sérieux car si la bière est une passion pour beaucoup, l’alcool reste un poison, certes ancestral, mais bel et bien réel qu’il faut savoir contrôler et modérer si on veut persister dans ce métier avec sérieux et surtout pouvoir en profiter longtemps.
Je le vois avec les gens avec qui je travaille, nul n’est forcé de consommer pour s’intégrer au sein de notre entreprise. Quand une brasserie fourni des échantillons, nous goûtons cela à plusieurs pour limiter la consommation, et je n’ai pas peur de prendre mon temps pour faire un feedback aux commerciaux (ou brasseries) si je juge qu’on a pas mal de choses à déguster afin de ne pas charger sur les dégustations. De même, à part quelques centilitres d’un nouveau fût afin de savoir comment le vendre, il est interdit de consommer sur place de l’alcool (ce qui est en soi une évidence), mais il est important, vu le métier, de le préciser. Et enfin, parce que la tentation peut être grande, nous interdisons systématiquement les afters sauf si nous sommes sur place (fin du TTO, verre avec l’équipe etc…), ce qui peut paraître rabat-joie mais qui est là aussi pour encadrer la consommation d’alcool sur place, mais aussi éviter de mettre en jeu la sécurité du personnel et enfin de l’établissement en cas de problème.
Il faut démocratiser la consommation consciente dans notre milieu, ce sera la clé pour pouvoir éviter que beaucoup d’acteurs du milieu ne basculent dans une addiction dangereuse.
3 articles sur le même thème vont sortir d’ici quelques semaines, un concernant les lobbys qui poussent à la consommation, un autre sur l’addiction en elle même, et un sur la récente décision par rapport aux étiquettes sexistes (car vous verrez qu’il y a un lien avec l’addiction justement).
Donc n’oubliez pas, amusez-vous, buvez de la bière, mais toujours avec modération et sans vous mettre en danger, ainsi que les gens qui vous entourent.
Liens :
https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/alcohol
https://sante.gouv.fr/prevention-en-sante/addictions/article/l-addiction-a-l-alcool
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