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Maltriarcat par Anais Lecoq : Pourquoi il faut lire ce livre?

Je vois déjà de là les poils fragiles de mes congénères se hérisser à la simple évocation d’un article orienté sur le féminisme et pourtant, s’il est bien un sujet important de notre secteur d’activité c’est bien la place des femmes dans la bière. 

Anais, pour celleux qui ne la connaisse pas, est une jeune journaliste qui officie dans le milieu brassicole depuis quelques temps déjà, et ses années d’expérience lui ont permis, malheureusement, de constater toute l’hypocrisie et la misogynie qui existait dans la bière, il n’en fallait pas plus pour la jeune journaliste pour écrire sur le sujet et en faire un livre tout aussi passionnant qu’important. 

 

Un livre qui a son importance 

Le féminisme brassicole, beaucoup l’ont constaté sur l’actualité récente : Buveuses de bières, Brienne Allen, Pink Boots, blogs et articles, ce ne sont pas les sources et activités qui manquent pour sensibiliser sur l’inclusion des femmes (et des autres bien entendu), au sein de la communauté brassicole. 

Beaucoup s’insurgent sur ces mouvements, des vieux cons réfractaires au changement en passant par des jeunes je sais-tout atteints du syndrome de Kruger, tout y passe et bon nombre de mecs voient ces mouvements comme une menace à l’heure ou tout Internet s’insurge parce qu’une sirène est noire de peau, peu étonnant donc…. 

Pourtant, la cause pour laquelle écrit et lutte Anais est très juste, et elle en est même historique quand on y regarde à 2 fois : la bière est un métier très féminin historiquement mais l’invisibilisation des femmes au moment où celle-ci a pu s’industrialiser, et donc devenir une source de profits importants, a peu à peu créer cette image si masculine et virile que l’on voit pulluler partout depuis plus de cent ans. 

L’importance du livre n’est pas que dans sa revendication pure et dure, elle l’est aussi pour ses divers rappels historiques et contemporains sur ce qui se passe et s’est passé dans la bière depuis très (trop) longtemps à propos des femmes. Beaucoup verront ce livre comme inintéressant car trop revendicatif, alors que la revendication n’est pas que le seul élément à prendre en compte justement. 

 

Le collectif britannique Beers Without beers à l’origine du festival Women in Beer

 

Les femmes sont légitimes (et c’est triste de devoir le rappeler encore en 2022)

Dans son ouvrage, Anaïs parcourt l’histoire tout d’abord, pour nous expliquer pourquoi la bière est un produit féminin historiquement. Nul besoin de vous le rappeler, je l’ai écrit ici même, et d’autres l’ont fait également, la bière est un métier orienté vers les femmes initialement. 

Pour la faire simple et de manière assez grossière, la femme fabrique de la bière pour son foyer car c’est assimilé à une tâche quotidienne ou quasi-quotidienne de son foyer (le patriarcat avec la répartition des tâches ce n’est pas nouveau hein), donc de base, on laisse cette corvée à madame. Puis le jour où la technologie permet d’en tirer un réel profit, on décrédibilise les femmes (sorcières etc…) pour ensuite tout récupérer et en faire un produit masculin, pour les hommes et fait par les hommes parce que bon, faudrait pas que les femmes gagnent de l’importance face au sexe fort n’est ce pas? Je vous la fait très courte mais vous avez l’idée.

Ce rappel historique est bien détaillé dans le début du livre avant de passer ensuite sur une période plus contemporaine où celle-ci nous décrit le milieu brassicole et sa misogynie à travers le 20e et le 21e siècle : des pubs sexistes pour “bobonne” (soyez une bonne épouse, achetez cette bière), en passant par les bières genrées, l’image de la bière dans la fiction, les conséquences de la masculinisation de la bière, rien n’est épargné et pour cause. La bière et les brasseries industrielles ou non, n’ont eu de cesse de pousser les femmes en arrière plan, au point où la déconstruction est compliquée aussi bien chez l’homme que chez la femme. Faire renoncer une femme à ses cocktails féminins ou faire boire une bière fruitée à un homme : même combat, il faut faire comprendre que le produit est une boisson et pas un symbole de virilité, de non féminité et j’en passe et des meilleures. 

La fin de l’ouvrage y va plus de l’analyse récente du milieu à travers des témoignages de figures bien connues du milieu français, des brasseuses, zythologues ou encore autrices, toutes font le constat amer de devoir toujours faire plus que les autres sans jamais vraiment être prises au sérieux (alors que bon nombre d’entre elles ont largement plus de connaissances que leurs détracteurs et autres “mainsplanneurs”). 

Au final, on y retrouve une analyse savamment orchestrée sur ce qu’est la bière vis à vis des femmes, de ce qui change et de ce qu’il faudrait faire également. 

 

Anais Lecoq (crédits Mathilde Giron)

 

Pourquoi alors faut-il que ce livre soit lu par tous?

Nul l’envie de jouer les publicitaires et influenceurs, je parle de bon sens, si le livre ne m’avait pas marqué de cette manière, jamais je n’en aurais parlé, mais depuis des années j’écris en faveur des femmes dans la bière du mieux que je peux via une très maigre contribution par rapport à tous leurs actes et ce livre est une source de contenu parfaite. 

Bien entendu, je ne suis qu’un homme cis hétéro diront certains, mais cela ne m’empêche pas de vouloir aller vers le bon sens et l’égalité. J’ai moi même dû apprendre à déconstruire beaucoup de choses en tant qu’homme et je pense avoir encore du chemin à faire, soyons honnête. Je ne ferais pas de ma petite personne un exemple, mais quand on lit cet ouvrage, les sources de cet ouvrage et qu’on fait le constat, celui-ci est plutôt amer : on a vraiment fait de la merde (nous les mecs bien sur). 

Ce livre a son importance car il permet de démontrer à toutes ces femmes qui veulent se lancer dans la bière que désormais elles ne sont plus seules, des associations existent, des alliés existent, et le milieu s’éveille peu à peu (mais lentement) à une égalité homme/femme. 

En plus de rappeler combien les femmes ont été injustement rayées de l’équation houblonnée, l’ouvrage permet ainsi de raviver la flamme et convaincre celles qui ont peur de se lancer dans un milieu encore trop masculin et misogyne. 

Pourtant, le livre a aussi l’utilité de clarifier l’esprit de certains hommes qui jusqu’à présent n’avaient jamais vu ce qui se tramait autour d’eux, un début de déconstruction teinté de bon sens qui pourra sans doute amener d’autres personnes à rallier une cause qui a plus que besoin d’être soutenue. 

Non, ce livre n’est pas que destiné aux femmes, il l’est pour tout le monde, les femmes pour gagner en confiance et pour sortir des clichés les concernant, et les hommes pour aussi sortir des clichés et constater que le royaume de la bière n’est pas vraiment tout blanc. Il est important en ce sens : il est une source de savoir majeure sur ce sujet. 

 

L’association buveuses de bières

 

Un chemin encore long toutefois

Je concluerais par un état des lieux, constaté par Anais et ses consoeurs, qui est que beaucoup de choses ont pu avancer, mais le chemin reste très long. Il faut toutefois rester lucide, beaucoup des actions entreprises ne sont que la résultante des actions et revendications des femmes elles-mêmes face à un monde brassicole patriarcal portant des œillères. Anais rappelle non sans colère les diverses actions pseudo féministes de brasseries qui ne font que surfer sur une vague afin d’éviter toute cancel culture hâtive.  

On peut toutefois se réjouir de quelques menus changements comme le mot Brasseries à la place de Brasseurs au SNBI et plusieurs brasseries ayant répondu présent pour relayer les actes féministes sans chercher de contrepartie, mais le constat final reste amer. Peu de choses ont réellement été actées, pire, certaines femmes minimisent parfois les actes de certaines de leurs congénères. Si pas tout n’est à jeter dans les réponses aux demandes, on peut s’attrister du peu d’importance accordée aux femmes en règle générale. 

Il suffit de voir les réseaux sociaux où un certain nombre de vieux briscards continuent de balancer des posts de vieux académiciens d’un ancien temps, ou ceux qui essaient d’étaler leur savoir ou minimiser des posts vulgarisateurs sans sourciller. Je ne parle même pas des posts twitter haineux ou encore les forums et groupes Facebook où certains bas du front éprouvent un malin plaisir à insulter certaines femmes du milieu qui osent un tantinet ouvrir leur bouche. 

Toujours dans la catégorie “ils n’ont toujours rien compris”, on peut parler également des brasseries et bières aux noms et/ou étiquettes sexistes et beaufisantes qui circulent encore sur le marché avec des créateurs qui censurent tout commentaire négatif quand ils ne balancent pas des “je comprends pas mes amis ont kiffé” (peut être que tes amis sont aussi cons que toi mais bon). On trouve encore un tas de bières sexualisées, sexistes, misogynes, mais fort heureusement certains font ce qu’il faut pour ne pas voir apparaître ces bouteilles dans leur rayon (et croyez-moi, ils essayent d’être dans les rayons, parole de caviste). 

Enfin, beaucoup demandent aussi pourquoi il n’y a pas, comme aux USA, un “name and shame” où les personnes accusées se retrouvent rapidement mises à l’écart : nous sommes en France! La présomption d’innocence, la protection salariale, et les procédures judiciaires freinent ce genre d’actes réclamés par certains. Rappelons que beaucoup de policiers ne prennent aucunement au sérieux les plaintes des femmes, voire les dissuade de porter plainte alors avant de pouvoir créer des scandales comme aux USA ou en UK on a encore une sacré longue route. De plus, si certains brasseurs ou brasseries sont relativement réputées pour leurs comportements abusifs désormais, il y en a beaucoup d’autres méconnues pour ce genre d’actes qui font pourtant la une des sites de notations et sont très présentes dans les rayons. Le souci est que si un nom est cité, c’est le procès assuré, et aucune femme n’osera se jeter dans un procès avec si peu de soutien du secteur et avec un risque de griller sa carrière. Et je vous vois venir : je ne sais pas plus que vous ces noms, ou très peu.

 

Le Pink Boots French Chapter

 

En conclusion

J’ai adoré ce livre, je ne dis pas ça parce que je soutiens la cause, ni parce que j’aime beaucoup l’autrice, j’ai adoré ce livre pour son contenu, son style et ce qu’il renvoie. Il est je pense une source d’information importante pour le milieu car il résume parfaitement la majorité des actes de ces dernières années. 

On peut juger les actes féministes comme on le souhaite, parfois trop extrêmes, parfois pas assez, parfois desservant la cause ou inversement, on ne peut que constater, si l’on a du bon sens que quelque chose cloche et que le traitement des femmes en général est problématique à l’heure où l’on est capable de faire voler des drone sur une autre planète. Ici, on ne peut que voir que le livre d’Anaïs reflète parfaitement les faits, même si le style peut paraître familier, même si on voit bien le parti pris (et c’est le but), l’ensemble reste très factuel et sourcé, ce qui rend tout aussi important son contenu car il n’est pas, comme certains pourraient le croire, qu’un essai écrit sur un acte de colère, non, tout est sourcé. 

En tant que patron de bar depuis quelques mois, j’ai pu constater avec colère les choses que décrit Anais. J’ai pu voir des gens avoir des attitudes déplacées avec mes employées, j’ai pu voir des gens ne pas les prendre au sérieux quand elles vendaient des bières, j’ai pu en voir se tourner vers moi pour le choix des bières au lieu d’aller vers elle, je pourrais citer encore beaucoup de choses. 

Lorsque nous faisons des ateliers brassages, il y a toujours un moment de dégustation d’ une heure à travers lequel je raconte le métier de zythologue et surtout l’histoire de la bière à travers des anecdotes historiques. Bien entendu, je parle des femmes dans la bière, des sorcières etc… et je vois toujours des hommes abasourdis mais positivement, des femmes sourire et s’extasier sur ce pan historique qui leur était inconnu jusqu’alors, j’ai majoritairement des réactions positives allant jusqu’au nom des bières de ces dames. Des clientes qui reviennent chez nous ensuite car elles ne se sont justement pas senties exclues. J’ai déjà eu le retour positif de femmes me disant qu’elles pensaient trouver un boys club et qui finalement ont vécu une expérience en mixité très agréable. Bien sûr, on aura toujours quelques idiots de service, comme ce duo de mecs qui après une longue discussion avec 4 femmes dans le groupe, n’a rien trouvé de mieux que d’appeler sa bière : la sal’hop (spoiler : un autre connard l’a fait avant vous les gars). 

Notre établissement a une équipe mixte et gay friendly, ce n’est pas pour nous coller l’étiquette des gentils (déjà parce qu’on s’en fout royalement), mais pour vous expliquer que la mixité a fait aussi notre force. Au sein de notre équipe, les femmes sont celles qui ont le plus gros savoir brassicole, les autres sont en plein apprentissage (les hommes), et croyez moi, elles sont ultra compétentes. En sus de cela, je peux constater avec joie que nous avons une entente excellente et sans accrocs car nous avons pris la peine de prendre des gens qui ont un réel bon sens, et croyez bien que ce n’est pas toujours simple de recruter, surtout en ce moment. 

Le livre d’Anaïs est d’ailleurs disponible dans mon bar en consultation gratuite, j’aurais aimé le vendre mais son distributeur souhaite un minimum de commande trop élevé pour mon petit établissement. Néanmoins rien qu’en le mettant en consultation et en le montrant durant des séances zythos, on voit des gens le noter pour se le procurer et c’est quelque chose qui fait très plaisir à voir. 

On pourrait penser que cet article, toujours aussi long, est une gigantesque pub mais il n’en est rien, c’est un écrit sincère pour vous inciter vous aussi à découvrir cet ouvrage qui, s’il ne changera pas le monde de la bière en un clin d’oeil (ou en un coup de pied au fiac), contribuera je l’espère à créer quelques prises de consciences et faire évoluer positivement les choses. 

Enfin, le livre s’oriente sur les femmes, mais il n’oublie pas l’inclusivité liée à tous les genres, races et les orientations sexuelles souvent raillées et décriées par un milieu macho, blanc et hétérosexuel. 

 

Maltriarcat par Anais Lecoq (éditions Nouriturfu) – 15€ 

 

Greg
Marseillais amateur de bières, je vais vous faire découvrir cette boisson à travers son histoire, des dossiers, de l'actu et enfin des tests de bières diverses et variées!

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