Quand David tient tête à Goliath
Nous l’avons vu sur les 2 premiers chapitres, nos amis industriels ne manquent pas de moyens, ni d’imagination pour faire face à la révolution brassicole.
Et si depuis le début, je vous parle d’eux, je ne vous ai pas parlé encore de l’autre camp justement, ceux que je défend personnellement, les brasseurs artisanaux!
Alors justement, l’ennemi des grands groupes a plus d’un tour dans sa poche, alors comment fait il pour gagner doucement mais surement, des parts de marché de groupes industriels gigantesques au point qu’ils cherchent à les concurrencer par tous les moyens possibles et imaginables?
Il faut savoir que la révolution brassicole a commencé il y a un moment ailleurs, nous, en France et dans certaines parties d’Europe, n’en sommes qu’au tout début. Les petits brasseurs américains ont fait peu d’ombres aux géants, certes, ils les voyaient, mais leurs parts de marché restaient largement stable, donc aucune inquiétude.
Quand le marché mondial de la bière à commencer doucement à dessiner de nouvelles trajectoires, les leaders ont vu qu’il y avait un bug dans leur matrice, le consommateur a changé, les nouvelles générations aussi.
Promouvoir l’artisanal
Fini les bars PMU et autres troquets, les nouvelles générations veulent du bon, et modérément, avec également une âme derrière et surtout ils veulent l’impression qu’ils consomment de manière juste et responsable (mais ce n’est guère qu’une impression parfois).
Alors forcément, quand les entrepreneurs ont commencé à décliner les contrats brasseurs pour faire des bars crafts, le monopole d’antan a commencé à s’effriter, et comme les bars PMU du coin, attirent moins de monde, ceux qui ferment trouvent moins de repreneurs.
Nos amis indépendants ont donc eu l’intelligence d’agir en groupe pour contrer les plus gros poissons, créant ainsi des mouvements comme le Front de la Libiération, ou encore le fameux SNBI, syndicat national des brasseurs indépendants qui a peu à peu rameuter les gens qui venaient de Brasseurs de France et se mobilise pour rendre la concurrence plus juste entre les différents acteurs, et tente d’harmoniser également les choses.
Les brasseries artisanales ont su très facilement contrer les grands groupes, déjà de par leurs produits tout simplement. En effet, si vous y regardez de plus près, un petit brasseur peut s’amuser à sortir une bière vieillie en fut durant x temps, ou une bière avec tel ou tel fruit, avec une certaine souplesse car sa production est petite. Autrement dit, si sa recette fonctionne peu, aucun souci, dans quelques semaines il relance autre chose sans oublier de produire sa gamme classique.
Un industriel, lui, ne peut pas faire cela vu ses volumes de productions et ses outils. Faire des bières vieillies? Quasi impossible car le système étant déjà tentaculaire, on peut aussi comprendre que c’est absolument pas rentable pour lui qui fait du gros volume et le fait vite via plusieurs astuces industrielles justement. Et puis n’oublions pas que les gammes éphémères sont compliquées si on est un gros, en général on va surtout s’orienter sur un nouveau produit, à grande échelle (mais un peu moins que pour des gammes plus classiques). Du coup, nos petits brasseurs ont cette flexibilité que n’ont pas les plus gros, ils peuvent passer de styles en styles, et tenter des choses, en prenant moins de risques.
Le consommateur lui, une fois initié à un ou deux styles nouveaux, va tenter autre chose, et il n’aura que l’embarras du choix et des saveurs, et il va avoir besoin de découvrir tout cela, et quoi de mieux que des événements?
Les brasseurs indépendants sont relativement unis, il y a des exceptions bien entendu, mais le milieu est assez fraternel, car les brasseurs savent que dorénavant, un consommateur va apprécier déguster une Ipa d’un tel puis une Stout d’un autre etc… il n’est plus exclusif et chacun à sa chance au final, le consommateur aime avoir le choix et diversifier ses dégustations, créant ainsi une synergie entre indépendants plutôt qu’une concurrence féroce et acharnée.
On le voit d’ailleurs via les collab’, des brasseries locales, ou d’autres plus éloignées entre elles, font des brassins communs et y prennent du plaisir, et le consommateur est ravi souvent aussi.
Pour faire découvrir tout cela, rien de mieux qu’un festival justement, un festival de brasseries indépendantes comme le Lyon Bière, le Paris Beer Week, le Blib ou le PBC chez moi à Marseille sont des occasions de faire découvrir le monde brassicole aux petits nouveaux, leur faire voir la variété de brasseries et les choix de styles si nombreux qu’ils en oublient les notions de couleurs désormais rayée de la carte dès qu’on commence à boire de l’artisanal.
Ces événements sont une mine d’or pour les petits, ils peuvent rencontrer des distributeurs, des fournisseurs, des consommateurs, tout le monde y trouve son compte, et cela reste en toute transparence et sans lobbyisme à peine dissimulé comme on peut le voir dans des événements plus réputés comme au salon de l’agriculture par exemple.
L’avantage de tout cela c’est que le nombre de visiteurs croissant sur l’ensemble du salon, permet de voir que l’univers brassicole devient de plus en plus grand, on voit ce phénomène en France, mais il est le même en Italie, en Espagne et petit à petit ailleurs, on trouve des bars crafts dans des villages en crêtes, des brasseries sur des îles perdues en Ecosse, des festivals dédié à des styles en particulier comme le Sour Festival en Italie etc…
Si on ajoute à cela, les fournisseurs de matières premières qui se créent (comme avec Houblon de France et ses houblonniers), les cavistes qui distribuent, les auteurs de livres dédiés au sujet, les sommeliers de la bière, les startupers qui créent des kits de brassage ou des biscuits de drêches ou encore les distributeurs indépendants, les sites web de vente en ligne et enfin les blogs modestes comme le mien ou plus professionnels, l’univers brassicole est peu à peu en train de grandir à la fois en propre, mais aussi via d’autres supports inédits qui font que les industriels peinent à suivre et sont obligés d’acheter comme on l’a vu, des brasseries artisanales, des sites internet ou des distributeurs pour ne pas perdre l’équilibre même si on sait que leur position dominante est non seulement quasi impossible à supprimer, mais aussi, si elle doit se faire, elle se fera via le consommateur et pas forcément via l’action directe des indépendants.
La bière artisanale a encore de beaux jours devant elle.
Mais les industriels dans tout ca, faut il vraiment les diaboliser?
Je vais me faire un peu avocat du diable, mais je pense que cela ne sert à rien de diaboliser les grands groupes. Ils existent, ils sont là, et on ne peut que vivre avec.
Certes, leurs méthodes sont discutables, il y a eu des scandales, des erreurs, mais force est de constater que c’est ces grands groupes qui finalement, motivent les plus petits et le rendent unis et plus forts.
On a des brebis galeuses qui vont vendre leur âme au diable, en cédant des parts, vision péjorative mais compréhensible pour les consommateurs d’artisanal, mais pour une brasserie qui se vend, combien d’autres naissent après tout?
Qui plus est, à part quelques Beer Snobs (ou menteurs parfois), la plupart du temps, on goûte sa 1ere bière sur une base industrielle, moi même j’ai commencé avec de la Carlsberg et de la Guinness, et c’est un jour en voyant que des brasseries autres, existaient, que j’ai découvert le craft pour abandonner l’industriel et ne le consommer que si aucune autre alternative ne m’est proposée.
Mon cas, ici, n’est pas isolé, une forte majorité des Beer Geeks viennent de l’industriel, au contraire, l’industriel est une porte d’entrée à l’univers indépendant! Un néophyte qui découvre une IPA via une Leffe ou une Lagunitas et aime ca, va sans aucun doute adorer une IPA artisanale, voire une DIPA et même découvrir de nouveaux styles!
Autrement dit, les industriels sont agaçants par leurs méthodes, mais ils sont obligés de s’adapter, le tout c’est de vivre avec eux et dans certains cas s’en méfier pour ne pas avoir de mauvaises surprises comme pour des noms de marques. Mais au final, ils constituent un bon leitmotiv, un challenge à relever pour convertir un consommateur à l’artisanal, les syndicats et autres alliances de brasseurs réussissent bien, petit à petit la bière n’est plus genrée, moins racoleuse, plus amusante et fun aussi, sans oublier qu’elle devient gastronomique et retrouve peu à peu des lettres de noblesses.
Si vous voyez qu’un industriel sort des bières avec un style jusqu’à présent inconnu sur sa gamme, c’est que malgré toute sa puissance, des petits irréductibles l’ont un peu fait trembler au point qu’il a voulu copier la chose pour perdre moins de crédibilité!
On est ici finalement sur un ennemi pas si inutile, le tout c’est que le marché actuel, la bulle brassicole n’éclate pas et perdure justement, il y aura toujours des gagnants et des perdants, mais on constate plus d’ouvertures et de pérennisations que de fermetures, et quand bien même, celles qui ferment, ont parfois vocations à rouvrir plus tard sous de meilleurs jours (N’est-ce pas les bières du crépuscules? :p )
En conclusion
Vous aurez vu à travers cette petite saga, que la bataille, si on peut appeler ça ainsi, n’a fait que débuter, même si on est sur un géant face à un tout petit, force est de constater que toutes les stratégies employées durant des années n’ont absolument pas freiner la révolution brassicole mondiale qui se passe en ce moment même.
Du coup, on a pu voir les stratégies basiques mais aussi celles plus malignes voire sournoises des industries pour conforter leurs parts de marché, mais au final, on voit que cela ressemble presque à du Tom & Jerry, ou la petite souris gagne toujours à la fin car le chat est toujours trop gros et trop pataud pour réussir à piéger sa proie.
Je pense que l’on verra encore des stratégies innovantes mais vu le mouvement, il se fera noyer dans la masse, j’ai parfois l’impression qu’au final, les industriels rachèteront d’autres acteurs du milieu, mais ils ne parviendront jamais à les dominer comme avant, ils ont été trop gourmands et aujourd’hui ils ne peuvent plus changer la variable face à la rapidité des diffusions des informations par exemple, ils ne peuvent que s’adapter et chatouiller le mouvement mais pas le faire plier au contraire. Chacune de leur action, sera encaissée et donnera plus de force aux plus petits qui ne céderont rien et rebondiront toujours car ils ont la flexibilité et l’agilité que n’ont pas ces grosses industries pataudes et hiérarchisées à coups d’actionnariats immenses et puissants, l’indépendant lui, saura toujours se faufiler entre les mailles du filet et conquérir son public.
Cette analyse fut longue mais agréable pour moi à écrire, j’espère qu’elle vous aura plu et reste cohérente et avec peu d’erreurs, je suis ouvert à toute suggestion ou modification bien entendu, voire ajouts, mais le but était de vous montrer mon point de vue analytique de ce secteur et ses méthodes.
Nous aborderons en détails quelques sujets ici traités à la va vite comme un article détaillé sur les grands groupes eux mêmes via leur histoire justement, croyez moi, vous n’avez pas fini de découvrir l’univers de la bière sur ce site les amis!
Cheers!
Sources :
https://www.happybeertime.com/blog/2015/09/11/heineken-met-pied-monde-de-biere-artisanale/
https://www.happybeertime.com/blog/2014/01/21/4-grands-groupes-se-repartissent-les-bieres-du-monde/
https://vinepair.com/booze-news/craft-brewery-ownership-chart/
https://www.lesechos.fr/2015/04/bieres-la-brasserie-artisanale-anime-le-marche-francais-257269
https://www.retaildetail.be/fr/news/food/lue-ouvre-une-enqu%C3%AAte-%C3%A0-lencontre-dab-inbev
https://vinepair.com/articles/why-dont-women-in-craft-beer-care-if-women-drink-craft-beer/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anheuser-Busch_InBev
https://fr.wikipedia.org/wiki/SABMiller
https://www.themadfermentationist.com/
Livres :
Bieronomics : L’histoire économique mondiale à travers la bière (Devin Briski / Johan Swinnen)
Heineken en Afrique (Olivier Van Beermen)
La Bière (Michael Jackson)