Aujourd’hui je vous emmène en Suisse, pays rarement proposé sur le site, mais qui lui aussi a son lot de brasseries artisanales sympathiques et originales. Ma première découverte de bières artisanales Suisse fut, il y a de cela une bonne dizaine d’années environ, lors d’un road trip là-bas pour rejoindre notre ami Vincent (Les Bières du Crépuscule) qui avait abandonné sa thèse pour devenir brasseur. Nous étions à Château d’Oex, à la brasserie de l’Ours, lieu où travaillait Vincent et sa future compagne Anne, ensemble ils créeront la fameuse brasserie “Les bières du crépuscule” dont nous avons souvent parlé sur le site, brasserie malheureusement fermée mais qui, je l’espère saura renaître de ses cendres un jour.
En général, les bières suisses sont rares en France, essentiellement je dirais pour 3 raisons, la première est qu’il y a peu de brasseries intéressantes à importer. Non pas que les autres soient mauvaises, mais quitte à payer du fret, autant que ce soit pour des produits qu’on ne trouve pas chez soi, ce qui m’amène au second point : la douane!
La Suisse n’est pas dans l’UE, autrement dit, pour faire venir de la marchandise, c’est par la route et avec un passage en douane, ce qui est quelque peu contraignant, donc pour faire venir de la marchandise, mieux vaut être sûr de soi. Enfin, et c’est la suite logique, les prix sont élevés car la Suisse dispose de nombreuses brasseries qui pratiquent, comme ici, des produits complexes et de qualité qui sont de base à des prix élevés, sans oublier que la Suisse est un pays où le français est en général perdant quand il est sur place vis à vis de la monnaie.
Ces 3 paramètres font que l’on trouve peu de brasseries Suisses dans nos rayons, certes, on trouve beaucoup d’Anglais et d’américains, mais c’est parce que le volume de leurs brasseries est plus important, que leurs recettes sont souvent assez folles, et surtout ils ont commencé avant nous à se mettre au craft, ce qui fait que de nombreux distributeurs se sont mis à chercher des brasseries là bas pour des questions de hype bien souvent.
On retrouve quand même de belles surprises en Suisse, citons la fameuse brasserie BFM ou encore celle du Chien Bleu, et aujourd’hui, nous allons nous diriger vers la brasserie À tue-tête!
A tue-tête a été créée par Julien Bretheau, un passionné qui s’est lancé dans les bières à fermentation mixte, plus précisément l’assemblage de bières à fermentation mixte mûries en fût de chêne. Sans pour autant en trouver de partout, les bières à fermentation sauvage, mixtes, mûries en fûts de chênes, sont de plus en plus présentes sur le marché. On trouve des séries spéciales comme pour Malpolon ou Gallia, et des brasseries, comme celle de ce jour, spécialisée uniquement sur un type particulier comme c’est le cas avec Spore ou l’excellent Simon de chez Ammonite (à venir sur le site par ailleurs).
Ici, on est sur de la bière qui associe des fruits et légumes locaux, c’est-à-dire que chaque bière a une recette unique contenant un à plusieurs fruits et légumes Romands (région où se situe la brasserie).
Pour notre bière du jour, on est sur une bière de fermentation mixte mûrie en fût de chêne refermentée avec des tomatilles, des piments jalapenos et de la coriandre, rien que ça. Pour ceux, comme moi, qui ignoraient ce qu’était une tomatille, c’est une plante dont le fruit ressemble à une petite tomate verte
L’occasion, du coup, de tester cette bière assez spéciale.
La revanche des tomatilles tueuses
Au verre, aucune mousse à l’horizon, on a bien quelques bulles qui se forment sur le col mais elles s’évaporent assez vite pour mettre à nu une robe cuivrée, trouble et joliment carbonatée.
Au nez, on est sur un joli mélange d’épices et de piments, très bien équilibré.
Du piment oui mais bien dosé!
En bouche, on est sans surprise sur un début acidulé qui tend assez vite sur un gout lié sans nul doute aux tomatilles et à la coriandre, une belle entrée en matière qui aboutit sur la finale, au piment Jalapenos avec une amertume peu présente car masquée par le piment, sans pour autant agresser le palais bien au contraire.
En conclusion
Ce type de bières est assez nouveau pour moi, déjà parce que c’est un style rare, mais aussi un style relativement cher (+ de 20€ la bouteille) et que c’est en 75cl, autrement dit, ce ne sont pas les bières que l’on déguste seul en fin de journée pour un petit apéro après le boulot. C’est un type de bière qui joue sur la rareté dans bien des domaines, et c’est assez agréable.
Après, si la bière m’a plu, elle ne plaira pas à tous, le style est particulier pour dérouter certains néophytes ou amateurs de vins, surtout avec le côté acidulé et pimenté qui peut vite faire détourner certains regards. Toutefois, si on parle du produit lui même, en tant qu’amateur de ce style également, on est finalement sur un produit complexe et aromatique qui a su garder un bel équilibre des saveurs sans aller dans un excès qui aurait pu vite écoeuré.
Encore une fois, la complexité c’est bien dans tous les styles, bien que le classique reste toujours agréable à boire, mais il ne faut pas en abuser.
Concernant la question du coût des bières suisses :
Effectivement, ce qui s’exporte, ce sont les produits plutôt travaillés, barriqués etc.
Mais ce n’est pas à cause de ça qu’elles sont chères… c’est même un peu l’inverse.
C’est parce que les bières suisses sont chères à la production que ce qu’il est viable d’exporter est plutôt le haut de gamme avec une forte valeur ajoutée, ou une forte spécificité.
Exporter de « simples » IPAs ou Lagers blondes produites aux prix suisses vers la France, c’est clair que c’est pas vraiment viable, elles seront toujours trop chères aux yeux de la clientèle, leur spécificité n’étant pas suffisante pour justifier le surcoût.
Alors pourquoi les bières Suisses sont-elles si chères?
Pour simplifier un peu beaucoup :
Premièrement parce que les charges fixes sont élevées, et engendrent des surcoûts : salaires, loyers etc. La Suisse est un petit pays montagneux, à l’habitat dense, où le terrain constructible est rare, donc cher. Une politique d’aménagement du territoire assez stricte visant à éviter le « mitage », soit l’avancée lente des constructions sur les zones non construites autour des agglomérations, accentue un peu le phénomène. Et si les loyers sont chers, y compris pour les logements, les salaires doivent suivre.
Les taxes douanières jouent aussi un petit rôle dans ces surcoûts, l’essentiel du malt et du houblon étant importé, mais ni l’un ni l’autre ne sont lourdement taxés.
Les taxes jouent aussi un rôle à l’exportation vers l’UE : la bière, par exemple, est exportée hors taxes, comme au sein de l’UE, et taxée à l’entrée dans le pays de destination. Le taux de TVA suisse sur la bière est à 7,7%, soit nettement moins que la TVA française à 20%. Ce qui renchérit forcément les produits suisses à l’entrée en France.
Deuxièmement il y a effectivement la question du taux de change. Le fait est que le Franc suisse est fortement sur-évalué par rapport à l’Euro, à force de faire l’objet de spéculations (qui forcent régulièrement la Banque Nationale Suisse à soutenir le cours de l’Euro, soit dit en passant).
A son introduction début 2002, l’Euro valait environ 1,50 Franc Suisse (CHF)… il vaut actuellement 1,09 CHF, mais était assez stable à 1,05 dans un passé pas si lointain. Et à deux reprises au cours de ces presque 19 ans, il y a eu des à-coups qui ont vu l’Euro dégringoler de quelque chose comme 15% face au CHF en une journée.
(Cette surévaluation nous arrange certes quand nous allons faire du tourisme dans la zone Euro, mais elle pénalise lourdement nos industries d’exportation, et tout le secteur du tourisme, bien sûr…)